Voici venu le « printemps » thaïlandais
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Cela fait quelques mois maintenant que le bras de fer entre les étudiants thaïlandais et le Premier ministre du royaume est engagé. Et la semaine qui vient de se dérouler fut plus qu’agitée avec l’instauration quasi immédiate d’un état d’urgence répressif à Bangkok, par un gouvernement excédé.
Mais la jeunesse qui n’a plus rien à perdre en ces temps de crises ne désemplit pas les avenues et places de la capitale. Aussi, les manifestations se répandent maintenant dans tout le pays.
Et alors que la tension est encore montée d’un cran ces derniers jours, le Premier ministre vient tout juste de faire un pas en arrière pour calmer les tensions et en appelle au parlement pour régler la situation.
Une crise sanitaire devenue économique
Depuis l’arrivée de la pandémie mondiale et du coronavirus sur son sol, la Thaïlande a su faire preuve de pragmatisme.
En effet, en adoptant les solutions drastiques de circonstance au mois de mars dernier, le gouvernement fraichement élu suite à des élections controversées a su mettre en place d’importants moyens pour enrayer la propagation du virus.
Son Premier ministre, le général Prayuth Chan-Ocha, peut être fier de l’infrastructure déployée pour combattre le covid-19 et de son succès retentissant reconnu à travers le monde entier.
En effet, en Thaïlande, après plus de 6 mois de crise sanitaire, on ne dénombre « qu’à peine » plus de 3500 cas confirmés et 58 décès ! Si ce succès face à la propagation du virus est donc à mettre sur le compte du gouvernement thaïlandais, il n’en reste pas moins que la situation n’aurait pas été la même sans l’immense et totale coopération du peuple en matière de précautions quotidiennes.
Car le Thaïlandais sait être très discipliné quand la situation le demande, il sait mettre son égo de côté pour qu’ensemble avec ses compatriotes, il puisse rendre service à sa nation.
Mais au royaume de Siam, si la crise sanitaire s’est vu jouer avec les cartes chance, cela n’en est pas de même au niveau économique du pays.
En effet, la Thaïlande et ses frontières complètement cadenassées au reste du monde depuis le mois de mars 2020 a très vite compris qu’elle allait payer très cher son succès dans sa lutte contre le virus.
Avec ses villes devenues fantomatiques, désertées des touristes et de tous les commerces et activités qui les accompagnent depuis de nombreuses décennies, la Thaïlande doit faire face à la pire situation économique que le pays ait pu connaitre depuis son développement majeur au début des années 1980.
Une jeunesse en manque d’avenir
La triste réalité est que les ¾ de la population ont perdu leur job quotidien, qui leur permettait de vivre avec leur famille. La situation est très critique et les aides gouvernementales sont quasiment nulles.
Seule une solidarité exemplaire entre les différentes couches de la population permet aux plus pauvres et démunis de pouvoir continuer d’exister. Car il faut bien comprendre que la situation est telle que de nombreuses pauvres âmes n’ont d’autres choix que de mettre fin à leurs jours…
Comme si cela ne suffisait pas, le roi Maha Vajiralongkorn, plus connu sous le nom de Rama X, après s’être emparé de quelques privilèges supplémentaires, s’est exilé depuis de longs mois en Bavière allemande, où il passe, semble-t-il, des jours paisibles loin de son peuple…
Quand on sait la dévotion du peuple thaïlandais pour son monarque, en tous cas pour tous ceux qui l’ont précédé jusqu’au vénéré Rama IX, on peut comprendre qu’aujourd’hui, il soit dans une incompréhension totale.
Et la jeunesse voit tout cela d’un regard neutre, entre tristesse pour ses aînés et une certaine rage quand elle se rend compte de l’avenir bien sombre qui lui est réservé.
Alors, comme dans beaucoup de nations du monde entier, c’est elle qui, depuis le mois de juillet, prend les devants et ose braver l’état en place lors de rassemblements de plus en plus nombreux, réclamant la destitution du Premier ministre et de son gouvernement, ainsi que la fin d’un règne monarchique totalitaire et sans pitié.
Une véritable révolution au pays du sourire, où le simple fait de critiquer la royauté est un grave délit en plus d’être un sujet tabou. Délit qui est sévèrement puni par la loi de lèse-majesté.
Un gouvernement de militaires
Si la jeunesse thaïlandaise se soulève depuis début juillet dans les grandes villes du pays, c’est pour oser demander un changement de cap au gouvernement actuel et surtout plus de démocratie.
Ce gouvernement, fraichement élu dans des conditions plus que douteuses au printemps 2019, est composé de nombreux anciens militaires, dont son Premier ministre, Prayuth Chan-Ocha, général en chef des armées, qui fut l’instigateur du coup d’État de 2014 qui mettait fin à quelques années passées en démocratie.
Si on peut oser dire que le gouvernement est arrivé au pouvoir, certes par le vote démocratique, dans des conditions étranges, c’est parce qu’il a tout d’abord muselé le principal parti d’opposition quelques semaines avant les élections, en empêchant son homme fort de s’y présenter pour de sombres raisons.
Ensuite, parce que le décompte final des urnes aurait subi quelques « transformations » à l’abri des regards de la nation…
Voilà, quant à l’instauration de la nouvelle démocratie en mars 2019, qui mit fin à 5 années de dictature, mais qui est toujours composée de ces mêmes militaires !
Encore une fois, même si on a toujours très bien vécu en Thaïlande sous le régime de la dictature, qui en fait n’en était une que par le nom et la force de persuasion en cas de soulèvements et d’émeutes, la jeunesse a regardé faire tout ceci d’un drôle d’œil.
Car si les générations passées et les aînés n’osent quasiment rien dire quant à tous ces sujets plus que tabous, la jeunesse et les mouvements étudiants, eux, se sont réveillés avec un goût amer dans la bouche et ont réalisé qu’ils ne souhaitaient plus se laisser faire tels de pauvres marionnettes.
Répression au royaume de Siam
Le symbole du mouvement free youth, crédit PHOTO SAKCHAI LALIT, ASSOCIATED PRESS - source
Thaïlande signifie « pays libre » en langue thaïe, mais c’est malheureusement ce qu’elle n’a pas toujours été au cours des décennies passées.
Celle qui a connu 12 coups d’État depuis son indépendance en 1932 traîne sur les couleurs de son drapeau qui représentent la monarchie, le Bouddhisme et le peuple, quelques cicatrices survenues lors d’affrontements mortels entre chemises rouges et jaunes, et surtout avec le pouvoir militaire.
On se souvient qu’en 2010, plusieurs dizaines de manifestants voulant en découdre dans la violence avaient péri sous les balles des militaires dans les rues de Bangkok.
Heureusement, on est aujourd’hui bien loin de ces excès de violences perpétrées 10 ans plus tôt. Car le mouvement étudiant « printemps thaïlandais », en référence aux soulèvements étudiants des pays arabes en 2011, est purement pacifique.
Ce soulèvement nommé « free youth » par les étudiants eux-mêmes, même s’il prend de plus en plus d’ampleur ces derniers jours, n’est là que pour dénoncer les diverses corruptions et tractations d’un pouvoir quelque peu passéiste assombrissant son avenir qui semble incertain.
Et si sa mobilisation est de plus en plus forte dans les rues et les places significatives de la capitale, il grandit aussi dans toutes les provinces du pays, mais dans un état d’esprit non violent et des plus pacifiques.
Ce qui ne veut pas dire que les étudiants sont prêts à lâcher ce pour quoi ils se mobilisent depuis bientôt 4 mois. L’ex-général en chef et désormais Premier ministre, quelque peu lâché et isolé par l’autorité royale, en a bien conscience et semble même trembler sur ses propres bases.
Le 20 septembre dernier, les manifestants toujours réunis en masse sont passés à un stade supérieur dans le défi qu’ils opposent au gouvernement.
En effet, un groupe du mouvement a cimenté une plaque de fer sur la chaussée de Sanam Luang, l’une des places royales du grand palais à Bangkok.
Sur cette plaque sont inscrits en Thaï des mots forts confirmant la cicatrice ouverte entre le peuple et son gouvernement ainsi que la monarchie absolue.
Sous ses mots contestataires, l’on peut apercevoir le signe d’une main, 3 doigts tendus vers le haut, qui est aujourd’hui le symbole du mouvement étudiant thaïlandais, en référence à la série « Hunger games ».
Un nouveau dérapage est arrivé le mercredi 14 octobre, lorsque la voiture royale de la reine Suthida s’est retrouvée coincée parmi des milliers de manifestants.
Légèrement chahuté sur son passage, ce véhicule, dont on ne sait absolument pas pourquoi il se trouvait là, finira par se dégager sans encombre au bout de quelques minutes.
Mais pour le roi et le chef du gouvernement, c’en est trop. Il faut prendre des décisions radicales, qui vont donner lieu aux premiers vrais actes de répression.
2 jours plus tard, le vendredi 16 octobre, le Premier ministre annonce la mise en place d’un état d’urgence à Bangkok, qui interdit les rassemblements de plus de 5 personnes et qui musèle de nombreux médias nationaux.
Le soir même, alors que la jeunesse étudiante défie cette annonce totalitariste en se rassemblant à nouveau dans les rues, des camions militaires armés de lances à eau surpuissantes arrosent les manifestants, les obligeant à se disperser dans une pagaille générale digne d’une guerre civile.
D’autant que l’eau utilisée est mélangée à un produit chimique des plus dangereux.
La guerre est déclarée.
Et les samedis et dimanches suivants, la foule étudiante toujours aussi nombreuse brave encore et toujours les interdits, face à un pouvoir exécutif abasourdi et quelque peu honteux d’avoir eu recours à la violence.
Chose qu’il ne va pas rééditer, car avec cette action violente envers les enfants du peuple, le gouvernement s’est mis à dos les aînés de la nation. Pour la première fois en 4 mois.
Vers une solution démocratique ?
#Thailand - Thai police use water cannon against Bangkok protesters. #AFP
— AFP Photo (@AFPphoto) October 16, 2020
📸 @TheLilyfish pic.twitter.com/yPtf4spByS
Contrairement aux violentes manifestations qui ont eu lieu il y a plus d’un an à Hong-kong et qui inspirent aujourd’hui la jeunesse thaïlandaise, on sent bien aujourd’hui que le gouvernement thaïlandais se sent quelque peu acculé dans une situation qui pourrait déborder à tout instant.
Le Premier ministre, Prayuth Chan-Ocha, en a pleinement conscience et on sent bien qu’il ne souhaite, au final, en aucun cas avoir recours à la force qui pourrait dégénérer en une explosion de violence dans tout le pays.
C’est ainsi que mercredi 21 octobre, il est apparu sur les principales chaines de télévision nationales lors d’une allocution solennelle, durant laquelle il a fait part à la population de sa décision de mettre un terme immédiat à l’état d’urgence décrété quelques jours plus tôt.
Tout au long de sa prestation, sur un ton des plus amicaux, il a demandé aux manifestants de mettre un terme à leurs revendications. Il a promis en outre à la nation que la situation problématique serait étudiée sous tous ses aspects par le parlement thaïlandais, où siègent de grands sages qui furent d’éminents hommes politiques dans le passé.
Par ces mots, le chef militaire qu’il est, qui livre avec succès une guerre déclarée au covid-19 depuis des mois, avoue ses faiblesses accrues en matière de vraie politique.
Ce qui n’est pas un mal au final, car au moins, il admet s’être rendu coupable d’erreurs de jugement. Ce recul inespéré, qui peut être vu comme une main tendue vers la paix, a été entendu par les manifestants, qui ne se sont plus rassemblés depuis.
Le calme est donc revenu à Bangkok ainsi que dans toutes les provinces du pays et l’espoir d’une issue favorable à cette crise renait fébrilement, même si quelques leaders du mouvement « free youth » continuent de demander la démission du gouvernement sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, l’avenir des étudiants thaïlandais et de la population tout entière est donc entre les mains du parlement, qui devrait fournir des solutions au conflit.
Et on parle de noms d’ex-Premiers ministres tels que Chuan Leekpai ou Thaksin Shinawatra pour redonner confiance et espoir à la nation tout entière, ainsi que pour favoriser la relance d’une économie à bout de souffle, en attente de jours meilleurs.